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DJ Sprinkles sur la house
 
- Pierre-Jean Chiarelli


In Minorités (France), December 2009.

 

S'il est un artiste qui a retourné dans tous les sens la question du rapport entre musique et communautés, c'est bien Terre Thaemlitz, alias DJ Sprinkles. Ce travesti touche-à-tout au parcours étonnant, exilé au Japon après avoir été déçu par les hypocrisies et les contradictions de la nuit new-yorkaise, a sorti en début d'année un amour de manifeste deep house, Midtown 120 Blues, dans lequel il donne notamment sa version du supposé âge d'or de la house new-yorkaise.

En gros, la mixité ethnique et sexuelle est un mythe, et la house, au mitan des années 90, fût tout sauf une musique universelle et de fusion, un refuge, un havre de paix. Thaemlitz n'y va pas avec le dos de cuillère, et l'on ce dit que s'il exagère autant, au risque de déformer les faits, c'est sûrement parce qu'il en veut à la house de ne pas avoir voulu de lui, ou encore d'être devenue un genre musical pour petit blanc hétéro. Inutile donc de lui chercher des noises autour de l'histoire réelle, l'intérêt de son coup d'éclat étant plutôt de nous faire réfléchir sur les émerveillements rétrospectifs à l'origine de mythes qui recouvrent la réalité d'idéalisme et d'optimisme, retirant aux phénomènes communautaires leur complexité.

Thaemlitz semble regretter que les quartiers chauds d'hier, révélateurs de cette complexité où se disputent les races et les sexes, aient disparu du territoire comme des imaginaires. Times Square en particulier, où étaient concentrés jusqu'au début des années 80 les clubs les plus hardcore, est à présent une gigantesque pièce montée, atroce et fascinant attrape-touristes. "Il ne faut pas dire que ces endroits nous manquent, mais il faut reconna杯re que la 42èmerue est l'un des lieux de naissance de la culture transgenre, l'endroit où gays et transsexuels Noirs et Latinos, les communautés les plus maudites de la ville, se retrouvaient presque contraints et forcés car personne ne voulaient d'eux ailleurs. Ils avaient leurs propres clubs, des endroits assez minables qui n'avaient rien à voir avec ces clubs pour riches qu'étaient le Loft ou le Paradise Garage. "

Il y a dans Midtown 120 Blues un parti pris très émouvant, celui de la défense posthume des victimes de l'éviction des clubs de Times Square, ces Sallys'II et Club 59 dont on ne parle pas dans les livres. Thaemlitz, qui fut DJ dans ces clubs, lance un cri à la mémoire des évincés perpétuels, ces Noirs et Latinos à l'identité morcelée qui furent à leur manière des déplacés de l'intérieur: "L'ancien Times Square reflétait les circonstances dans lesquelles ces communautés de parias ont dû vivre ensemble, dans un même ghetto où c'est contre une pipe que s'obtenaient des doses d'hormones pour se faire opérer. L'Etat providence et son système de santé cessaient de fonctionner passées les portes de ce quartier. Il y avait bien sûr la musique, le sexe, mais la house dans ces endroits était triste. "

Le constat est sombre car il dévoile la face cachée d'une musique qui, ailleurs, a fonctionné comme un miracle en libérant des millions de vie. Thaemlitz, lui, témoigne des ratages, il raconte que les humiliations n'ont pas cessé en débarquant à New York, où l'entrée dans les clubs à la mode n'était pas plus facile pour une apprentie drag-queen que de se faire accepter dans une bourgade du Midwest. "Un jour, j'ai cru halluciné en entendant David Mancuso jouer un de mes disques alors qu'on m'empêchait d'entrer dans son loft..."

Même la métaphore déclinée dans des dizaines d'hymnes garage du club new-yorkais comme église, un lieu où panser ses plaies spirituelles, ne le convainc qu'à moitié: "Il faut être précis, pour les Noirs, l'église était d'abord un lieu où s'organisaient des résistances et des luttes sociales, comme le siège d'une association. Ils ont transformé ce lieu de culte en un lieu d'abord politique car les églises étaient l'unique endroit où ils pouvaient se rassembler. Le club a bien sûr permis à des gens ostracisés de se réunir. Mais au début des années 80, au plus fort de l'homophobie liée au pic du sida, la vibration a changé, le public cherchait à s'évader de cette réalité trop dure. Cet hédonisme n'était pas dégagé de tout activisme mais il devenait plus transcendant. Les gens ont eu un rapport thérapeutique avec la house, mais la thérapie ne résout rien, elle calme, elle permet de recharger les batteries. Et dans le club, ce parcours est semé d'embuches, avec la drogue et l'alcool qui font partie du cycle thérapeutique mais qui sont aussi des médicaments mortels."

Ailleurs dans l'interview, Thaemlitz se souvient enfin d'un club où il fut content: "La Escualita, un 'drag club' portoricain, très queer mais réellement mixte en termes de genres. Beaucoup de lesbiennes aussi. La musique était horrible, du Janet Jackson et les premières formes de freestyle. Mais que veux-tu, pour une raison qui m'échappe aujourd'hui, j'aimais l'ambiance, même si je ne me suis jamais produit dans ce club." Tout n'est donc pas perdu au royaume de la house et des musiques de club.